
Voici un livre à la fois impulsif et réfléchi : en 1994, le Théâtre de Namur est appelé à une rénovation en profondeur ; Robert Soupart, photographe et ami du directeur de l’époque, saisit l’occasion pour fixer sur pellicule argentique l’indicible magie qui s’en dégage, même (et peut-être surtout) une fois déserté à l’approche des travaux.L’auteur a opté pour le format carré et s’en explique. Aucun recoin ne sera tenu pour anecdotique : de la salle aux combles, des rampes aux lustres, des loges…aux loges.
Honneur à l’arrière et aux dessous de scène, comparables à de grandes orgues : « Une machinerie d’origine, la dernière sans doute à l’époque à être encore en activité en Europe, cela promettait des atmosphères particulières, de belles matières brutes, naturelles, de robustes poutres, des cordages, des poulies, des passerelles, tout ce bois évoquant encore inévitablement la marine à voile disparue d’où étaient issus les constructeurs de ces machineries après leur reconversion au théâtre. Sous 150 ans de poussière, une mémoire donc qu’il ne fallait pas laisser disparaître. » L’ouvrage nous dévoile en réalité un parcours tissé d’intuitions, au gré de ressentis et d’émotions propres à tout témoin ultime d’un âge d’or (et de rouge !), conscient du privilège qu’il lui est donné de déambuler à sa guise en ces lieux sacrés et pourtant voués à une refonte irréversible.
Comment ça « marche », un théâtre à l’italienne (à savoir selon la vision que nous nous en faisons spontanément depuis la Renaissance, ici en Occident) ? Coulisses, entrelacs des systèmes de levage, des chariots de changement de décor, trou des régisseurs, … bref, le royaume occulte des acteurs de l’ombre sans le savoir-faire de qui l’illusion espérée sur scène serait imparfaite, privant l’insouciant public du miracle pour lequel il a pourtant déboursé. En même temps un microcosme, reflet des usages sociaux d’époques révolues : comment ça se construit, un théâtre ? Escaliers, majestueux vers les loges à petit salon ou dérobés menant au « poulailler » ; cintres, stucs et taffetas scindant l’espace en volumes et percées destinés à voir autant qu’à être vu…ou pas et attestant l’âge vénérable de ces courbes, éclats, craquements et odeurs plus que séculaires…
Livre-testament, livre-relique, livre-objet en tous cas…à offrir ou à s’offrir en un élan voluptueusement tendu vers le beau, un sentiment à peine nostalgique – sans ressentiment envers la modernité – ; plutôt le vœu très sain de ne pas oublier. Eric DELRÉE
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